Les relations entre les entreprises privées et les établissements publics posent le problème de l’équilibre économique entre les deux catégories d’entité.
La question est déjà réglée par la Droit administratif qui confère aux personnes morales de droit public, ce qu’on appelle communément des prérogatives exorbitantes de droit commun.
Quant au droit des affaires, la règle est posée par l’article 30 de l’Acte Uniforme de l’OHADA sur les Procédures simplifiées de recouvrement.
Ce texte fondamental dispose que « L’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution.
Toutefois des dettes certaines, liquides et exigibles des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelles qu’en soient la forme et la mission donnent lieu à compensation avec les dettes également certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenue envers elle, sous réserve de réciprocité.
Les dettes des personnes et entreprises visées à l’alinéa précédent ne peuvent être considérées comme certaines au sens des dispositions du présent article que si elles résultent d’une reconnaissance par elles de ces dettes ou d’un titre ayant un caractère exécutoire sur le territoire de l’Etat où se situent les dites personnes ou entreprises.
Ce texte qui pose le principe de l’immunité d’exécution à l’encontre des entreprises publiques a focalisé l’attention de plusieurs juristes d’affaires et crée une controverse certaine.
Une première doctrine soutient que ce principe d’immunité renvoie forcement à une loi nationale qui doit déterminer les entreprises bénéficiaires.
La deuxième tendance, qui semble être celle de la jurisprudence de la CJCA, s’en tient à une lecture littérale du texte, c’est-à-dire qu’en aucune manière l’exécution forcée ne peut être pratiquée contre les entreprises publiques.
C’est l’avis du Parquet Général près la Cour Suprême des Comores.
Au cours d’un procès opposant une Entreprise publique à l’un de ses- ex salariés qui a eu gain de cause suite à un litige social, il a soutenu que l’exécution forcée ne peut pas recevoir application.
La Parquet a ajouté -sans pour autant faire spécifiquement référence au cas d’espèce- que même si la mauvaise foi de l’entreprise ne peut pas être définitivement exclue, elle bénéficie toujours de l’immunité .Il a par ailleurs indiqué qu’une entreprise publique n’est pas une société et que ce vocable est utilisé de façon incorrecte quand il s’agit d’une structure publique.
Pour apporter un début de réponse à cette controverse, il faut répondre à une série d’interrogations.
La première est la nature des entreprises publiques qui se livrent à des activités de droit privé, ainsi des sociétés de prestation de services (télécommunications, électricité et autres).
Selon une jurisprudence administrative, si la personne publique se livre à des activités similaires à celles d’une personne privée, c’est le droit privé qui lui est applicable .Cela semble aller dans le sens de la législation OHADA, car, si tel n’était pas le cas, les entreprises publiques ne seraient pas régies par le droit Ohada.
Mais le fait qu’ils bénéficient d’une immunité d’exécution, en font une catégorie à part qui résiste fondamentalement à la suma divisio traditionnelle entre personnes privées et personnes publiques, ce qui, au regard du Droit Ohada, peuvent être considérés comme des entités sui generis.
En effet, seules ces dernières bénéficient de prérogatives exorbitantes de droit communs, contrairement aux premières qui sont logées à l’enseigne de « simples mortels »
La deuxième question qui vient à l’esprit est l’essence même de l’immunité d’exécution.
Cette immunité est prévue pour mettre sous la protection de la loi, les entreprises publiques, censées représenter l’intérêt général.
Mais à quel prix cette protection doit se faire ?
Si les entreprises publiques doivent être protégées, le doivent –elles telles pour autant au détriment des sociétés privées avec qui elles rentrent en relation d’affaire ?
Pour simplifier le schéma, une Entreprise Publique passe une marché de fourniture ou autre avec une personne privée .Celle-ci réalise ses obligations contractuelles, mais pour des raisons qui lui sont propres-y compris la mauvaise foi ? -, elle ne paie pas la contrepartie de la prestation.
L’affaire aboutit souvent devant les juridictions, qui, au vu des pièces du dossier condamnent l’entreprise publique à payer sa dette à la Société privée .Mais à ce stade, il est impossible d’obtenir une exécution forcée du fait de l’immunité de l’article 30, ce qui a pour conséquence de vider la substance de la décision rendue en faveur du créancier.
Cette interprétation littérale de l’article 30 de l’AU soulève certaines questions fondamentales :
La première d’entre elle, est la contradiction entre l’immunité d’exécution e de l’objectif global du droit 0hada qui d’après le préambule du Traité instituant l’organisation est « d’établir un courant de confiance en faveur des économies de leur pays en vue de créer un nouveau pôle de développement en Afrique ».
D’après une tendance économique répandue, le développement économique a pour principale locomotive le secteur privé.
Or, l’application littérale de l’article 30 pourrait générer des conséquences graves pour le tissu économique.
En effet, une telle posture qui consiste pour les entreprises publiques à s’abriter derrière l’immunité pour ne pas exécuter leurs obligations peut à long terme aboutir à la faillite des entreprises privées .Cela est d’autant plus vrai, que ces entreprises publiques détiennent une part importante de la commande publique.
La deuxième interrogation, accessoire à la première est celle de la confiance ou plutôt celle de l’absence de confiance entre les sociétés privées et celles publiques. Les premières pourraient être réticentes à entretenir des relations d’affaires avec les secondes, ce qui peut impacter négativement le climat des affaires.
Enfin, elle soulève le problème de la crédibilité de la Justice puisque les décisions rendues dans ce contexte ne peuvent pas recevoir application sans la volonté des entreprises contre lesquelles elles sont rendues.
Une option entre la lettre et l’esprit du texte
Faut-il alors revenir à la deuxième tendance qui correspond réellement à la réalité économique et à la réalité des relations contractuelles ?
Une doctrine –contraire il est vrai à la jurisprudence de la CCJA- penche plutôt pour l’idée que les entreprises bénéficiant de l’immunité doivent être déterminées par la loi nationale.
Cette détermination poseraient les conditions qui permettraient d’atténuer la rigueur des dispositions de l’article 30 de l’AU.
Elles permettraient aussi d’améliorer le climat des affaires en renforçant la confiance entre les entreprises publique et les sociétés privées ;
On peut espérer que les Autorités concernées se saisiront de la problématique de manière à concilier les deux exigences.
MZE Azad