Un coup de tonnerre dans le Ciel juridique comorien
23 mars 2017 .retenez bien cette date car elle est importante pour la justice et pour les comoriens.
La cour Suprême a rendu deux arrêts de principe qui vont bouleverser le cadre juridique comorien et même une partie de ses fondements sociologiques.
La première décision est relative à l’article 30 de l’AU OHADA sur les procédures de recouvrement .Une entreprise publique condamnée à payer une créance à une autre personne a fait l’objet d’une exécution forcée .La Cour d’Appel a déclaré la procédure illégale sur la base de l’article 30 .Cet arrêt a été soumis à la censure de la Cour Suprême et il a été cassé .
La deuxième soulève la question de la personnalité juridique des villages et celle des domaines fonciers villageois.
Des villageois ont occupé depuis longtemps un zone qui leur sert de champ et de zone d’extension .Cette même zone a fait l ‘objet d’une réclamation de la part d’une famille.
Saisi du litige, le cadi a rendu un jugement attribuant à chacune des parties une zone, qui n’a pas été bien précisée .Le Comité du village a relevé appel de ce jugement et il a reçu gain de cause, en ce sens que la zone lui a été attribuée.
La Famille s’est pourvue en cassation contre l’arrêt, ce qui a permis à la Cour Suprême d’apporter une importante innovation juridique qui fera l’objet de développement qui vont suivre.
- L’arrêt sur l’article 30 de l’AU OHADA
Selon cet article « L’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution.
Toutefois des dettes certaines, liquides et exigibles des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelles qu’en soient la forme et la mission donnent lieu à compensation avec les dettes également certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenue envers elle, sous réserve de réciprocité.
Les dettes des personnes et entreprises visées à l’alinéa précédent ne peuvent être considérées comme certaines au sens des dispositions du présent article que si elles résultent d’une reconnaissance par elles de ces dettes ou d’un titre ayant un caractère exécutoire sur le territoire de l’Etat où se situent les dites personnes ou entreprises.
Ces dispositions ont donc instauré une immunité d’exécution au bénéfice des personnes morales de droit public, sans pour autant les préciser avec comme résultat une application automatique de cet article.
Or, la Cour Suprême estime que « En posant le principe selon lequel l’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution sans dresser la liste, le législateur communautaire entendait laisser à la loi nationale le soin de fixer la liste des bénéficiaires ».
La principale innovation est donc, celle de déterminer les entreprises concernées par le texte. Or, le droit comorien est silencieux sur la question.
La deuxième innovation se décline en deux conditions : la première est que l’entreprise bénéficiaire doit remplir une mission de service publique.
La deuxième est que « les voies d’exécution de droit commun ne peuvent s’appliquer lorsque l’exécution forcée et les mesures conservatoires affecteront l’organisation et le fonctionnement régulier du service public ».
Cela veut dire qu’à contrario, chaque fois que les mesures d’exécution forcée ne sont pas de nature à affecter le fonctionnement des entreprises, elles peuvent donc être appliquées.
La Cour Suprême a fait preuve de réalisme ééconomique, puisque les partenaires des entreprises publiques doivent pouvoir recevoir la contrepartie de leur service.
Il semble que les deux conditions ne sont pas cumulatives et que c’est la deuxième qui est la plus importante, c’est-à-dire qu’en aucune manière, l’exécution forcée ne doit pas gêner le fonctionnement normale des entreprises bénéficiaires.
Désormais, il appartient aux Cours d’Appel d’apprécier les demandes au cas par cas pour vérifier si l’exécution forcée affecte ou non «l’organisation et le fonctionnement réguliers du Service public » et il reviendra à la Cour Suprême d’apprécier à son tour si la Cour d’Appel a fait une exacte appréciation de la situation particulière à chaque demande.
Cet arrêt a le mérite d’établir l’équilibre économique et juridique entre deux sujets de droit, tout en assurant la protection de l’intérêt général.
La personnalité juridique du village ou de la famille
La notion de village est au centre de l’organisation sociologique des Comores. Les personnes s’identifient par rapport à cette entité à forte teneur sociologique.
Cette notion de village sous-tend une autre autrement plus grave, celle d’étranger, l’étranger étant celui qui n’est pas du village .Ainsi, un comorien qui se rend à une autre localité est considéré comme un étranger et il est courant que dans les manifestations coutumières ou autres on parle des « étrangers » alors que toute l’assistance est composée de comoriens.
Il est ainsi généralement admis que « le village est un Gouvernement » signifiant ainsi qu’il dispose des pouvoirs réels.
Cela est surtout visible en matière d’occupation du domaine foncier .Certaines localités se sont appropriés les anciens domaines princiers pour en disposer à leur guise.
Cette situation a été entérinée dans les faits, notamment en ce qui concerne un domaine foncier aux alentours de la Capitale.
De par cette incontestée existence sociologique, le Village était considéré aussi bien dans les faits et dans une moindre mesure en droit- comme des personnes juridiques .Nombreux sont les procès entre des villages et d’autres parties.
Par son arrêt n°004 du 23 mars 2017, la Cour Suprême a complètement bouleversé cette vision.
Pour cela, elle a fait application de l’article 31 du Code de procédure civile qui dispose que « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé ».
Cet arrêt a rappelé deux principes.
Le premier c’est qu’un Comité villageois ou une famille n’ont pas la personnalité juridique en dehors d’un texte le prévoyant ; Il indique que « faute de texte le prévoyant, un comité villageois ou de quartier, réalité sociologique d’intérêt public, n’ pas la capacité juridique ».
La décision indique également dans le même optique que la personnalité juridique, aptitude à être titulaire de droit et des obligations ne peur être reconnue à une famille au sens le plus élargi, sans se référer expressément aux personnes physiques qui la composeraient et qui sont les seuls sujets de droit habilités à ester en justice et à délivrer mandat »
Par cet arrêt, la notion de village se voit attribuer la qualité de simple entité sociologique et de ce fait, il ne peut pas ester en justice.
Le deuxième principe, qui est plutôt un rappel est la présomption de domanialité, selon lequel, tout terrain qui n’est pas légalement occupé est présumé faire partie du domaine foncier de l’Etat.
Or, on a indiqué plus haut, que les villages s’attribuaient de zones entiers au détriment de l’Etat .Il est arrivé des fois ou l’Etat va solliciter des c villages une parcelle de terrain, alors que légalement, il en est le propriétaire.
A ce sujet l’arrêt énonce que si le bien « est déshérence, [il] présumé propriété des personnes publiques ».
Par ses deux arrêts fondamentaux, la Cour Suprême entend d’avantage procéder à l’unification de la jurisprudence, qui est un de ses prérogatives.